Le fihavanana ou la vision malgache de la fraternité universelle
By Prisca Fenosoa Maharavo*, 1er septembre 2025

Photo Source: “Together for a New Africa”. togetherforanewafrica.org
La République de Madagascar est un pays du continent africain, situé dans l’Océan Indien. Elle est composée de plusieurs iles, dont la plus grande, celle qui lui a aussi donné son nom et celle où habite la majorité de la population malgache est Madagascar, mais il y a aussi l’iles de Nosy be qui se trouve au Nord-Ouest de Madagascar et Sainte Marie à l’Est , sans oublier les petites iles autours et plus particulièrement les iles Eparses qui font actuellement objet de négociation entre l’Etat Malgache et l’Etat français pour leur restitution à Madagascar (bien que les iles Eparses aient été inclues parmi les iles malgaches par la loi d’annexion de Madagascar par la France en 1896, elles ne lui ont pas été restituées au lendemain de l’indépendance jusqu’à nos jours).
Les résultats des derniers recensements de la population malgache effectués par l’Institut National des Statistiques font état de plus de vingt-cinq millions six cent milles habitants, en 2018, dont 80,75 % d’entre eux vivent dans les zones rurales. La même année, Amnesty international publie son rapport annuel et rend compte d’un contexte de pauvreté généralisé dans le pays caractérisé par les problèmes d’accès à la nourriture, à l’eau potable, aux soins de santé de base et à l’éducation. D’après l’Unicef, actuellement, dans le Sud de Madagascar, là où habitent environ 2.7 millions de personnes, des fortes sécheresses provoquées notamment par le changement climatique font du quotidien de la population une réalité dominée par la malnutrition voire même la famine.
La question du fihavanana s’est toujours trouvée à la base de l’histoire moderne de la société malgache, contrairement aux autres pays d’Afrique ou d’ailleurs qui peu après l’indépendance sont tombés dans des guerres civiles. La population malgache s’est toujours alignée de manière unanime aux respects et à l’application des règles du fihavanana. Ce qui lui a valu sur le plan international, de la part de plusieurs chercheurs comme Peter Kneitz, Frédéric Sandron, Françoise Raison Jourde, le titre de pays pacifique et fraternel. En effet, le fihavanana base du contrat social malgache a toujours permis d’éviter les débordements de violence ou du moins de les contenir, que ce soit à l’époque où il s’agissait de faire revivre le patriotisme malgache durant la colonisation (1896 – 1960) en signe de protestation et de résistance contre les oppressions coloniales ; ou lors de l’indépendance ( à partir du 26 juin 1960) pour redéfinir l’identité malgache et restaurer la cohésion et l’unité sociale ; ou même durant la période postcolonial lorsque à quatre reprises (1972 -1991 – 2001 – 2009) le pays s’est effondré sous une crise politique qui à chaque fois fut devenue très vite de nature économique et sociale.
Nombreuses sont les tentatives de traduction et de définition du concept de fihavanana, mais d’une manière générale, il s’agit d’un lien et d’un sentiment qui évoque la parenté et la famille, qui unit les personnes membres d’une même famille. Ici le mot « famille » contient aussi bien les liens de sang que les liens fictifs existants entre les personnes. Celles-ci sont liées par le sang ou par des rituelles de mariage ou sur le fait de vivre ensemble sur un même territoire, de bénéficier ensembles de ses bienfaits et faisant face ensemble à la diversité : c’est le fiaraha-monina malgache.
C’est grâce au respect et à la valeur associée par les Malgaches au fihavanana que la société a jusqu’ici toujours réussie à faire face aux défis susmentionnés de changement climatique, de la paupérisation de la population et des instabilités politiques… Le fait est que même instrumentalisé, le fihavanana est le pilier qui soutient la société malgache aussi bien dans le domaine public (malgré l’instrumentalisation du fihavanana par les politiques et autres personnalités publiques) que dans le domaine privé (l’instrumentalisation du fihavanana par les havana ou membres de la famille). Ce qui a entrainé le fait que de nos jours le fihavanana soit associé aux causes du népotisme, de la corruption et du parasitisme sociale existants au sein de la société malgache.
Sur le plan juridique, les Constitutions de la République de Madagascar qui se sont succédées à partir de la 3ème République, en 1992, ont insisté d’une manière ou d’une autre sur l’importance du fihavanana pour les Malgaches. Il ne s’agit pas d’un sentimentalisme abstrait entre les membres de la même famille car l’application du fihavanana requiert le respect de certaines normes politiques, administratives, économiques, juridiques et sociales décidées par ses membres et respecter par tous. Ainsi, il existe des normes appelées dinam-pokonolona décidé par la communauté lors des réunions et portant sur les sujets, les conflits, les réalités et les nécessités des habitants du territoire et que ces derniers s’engagent à respecter en vertu du fihavanana. Tout comme il existe des règles dans l’application de l’entraide villageoise aux travaux agricoles (plantations ou récoltes de riz ou autres produits agricoles) et de constructions d’infrastructures publiques ou privées (maisons, rues, chaussées …) appelées valin-tanana. Ou encore concernant les règles régissant le mariage traditionnel et civil qui comportent le droit de misintaka pour la femme mariée dont le mari a manqué à ses obligations, suivi du fampodiana (réconciliation du couple) ou du fisaoram-bady (divorce). Ce sont tous des procédures qui impliquent aussi bien les parties que l’entière communauté en vertu du fihavanana.
Ainsi, en cas de conflit présent dans la communauté, il est tout de suite procédé à la réconciliation ou fampihavanana qui est une procédure publique dirigée par les ainés ou raiamandreny[1] dans la société et où il est demandé à l’accusé de s’expliquer puis de demander pardon aussi bien à la victime qu’à la société qui en elle a été lésée par l’acte de l’accuser. À la victime, il est ensuite demandé de pardonner ou mamela et mandefitra. Quelque fois, en fonction des cas et de la nature du conflit, il est demandé à l’accusé de réparer les dégâts causés et il arrive qu’il reçoive des sanctions, l’objectif de la réconciliation étant principalement le pardon et la restauration du fihavanana dans la société.
En un mot, par le fait d’être membre d’une même famille ou mpihavana soit par naissance et descendance de mêmes ancêtres, soit par le fait d’habiter le même territoire ou terres des ancêtres ou tanindrazana, la philosophie malgache reconnait donc, par le biais du principe de fihavanana, le caractère universel de la relation fraternelle qui lie les êtres humains les uns aux autres, comme l’affirme la déclaration universelle des droits de l’Homme. Des êtres humains qui habitent sur la même planète, la terre, bénéficiant ensemble de ses bienfaits et faisant face ensemble aux difficultés de la condition humaine ; des frères ou mpihavana ou membres d’une même famille : la grande famille humaine.
* Doctorat en Sciences Politiques, Institut Universitaire Sophia, Italie, 2022.
Chargée des cours de Théorie de l’Etat, Vie politique malgache, Humanité malgache et africaine à l’Université Catholique de Madagascar. Assistant Project Coordinator of “Together for a New Africa”.
[1] “Raiamandreni”, personnes à qui, en raison de leur âge, de leur qualité de bienfaiteur ou de leur état civil, une autorité est reconnue (Ed.).